Trop financé pour péricliter : pourquoi la crypto a besoin d’un feu de forêt
Points clés
- De nombreux protocoles crypto restent opérationnels malgré un faible usage réel, immobilisant capitaux et développeurs.
- Les projets peuvent se financer indéfiniment via des réserves de jetons (la « treasury »), ce qui réduit la pression pour atteindre la rentabilité ou l’adoption.
- Contrairement aux cycles Web précédents, les talents et le capital ne sont pas toujours réalloués rapidement vers les projets performants.
- Sans corrections nettes — les « feux » du marché — l’écosystème risque une stagnation prolongée et une maturation retardée.
La métaphore est frappante : dans une forêt, les incendies contrôlés détruisent l’épais sous-bois pour laisser la place à une nouvelle génération d’arbres. Dans la crypto, le phénomène est semblable mais inversé — il n’y a pas assez d’incendies. Le résultat ? Des protocoles surfinancés, peu utilisés, qui tiennent en respect des ressources rares : développeurs qualifiés et capitaux mobilisables.
Contexte du marché
Au cours des dernières années, certains projets ont levé des sommes importantes via des offres initiales de jetons (ICO — offre initiale de jetons) ou accumulé des réserves de jetons dans leur « treasury » (réserve de jetons détenue par le protocole pour financer son fonctionnement). Ces coffres, parfois considérables, permettent aux équipes de fonctionner sans le ventre serré des startups traditionnelles. Pas d’obligation de résultats trimestriels, pas d’actionnaires activistes, pas de pression immédiate pour réduire la voilure.
Le résultat est double : d’une part, moins de chutes spectaculaires — donc moins de pertes humaines immédiates. D’autre part, l’écosystème conserve un fonds de « zombies » : projets avec peu d’utilisateurs et des revenus marginaux mais qui continuent à drainer ressources et talent. Là où l’économie réelle réalloue rapidement les ingénieurs et les managers d’entreprises échouées vers des entreprises prometteuses, la crypto conserve trop souvent ces compétences dans des squelettes subventionnés par leurs propres trésors.
Pourquoi c’est important
La loi de Packard, qui note qu’une organisation ne peut croître plus vite que sa capacité à l’exécuter, s’applique ici. Si le capital et les développeurs sont enlacés dans des racines sans mouvement, la croissance productive peine à émerger. Les bulles et leurs retombées ont un rôle économique : elles brûlent l’excès de capital spéculatif et réallouent les talents. Sans ce mécanisme, la technologie stagne, et les innovations réellement utiles peinent à capter l’énergie collective.
Autre conséquence concrète : l’absence de pression de marché favorise des modèles peu soutenables — ventes répétées de jetons depuis la treasury pour financer le développement, accumulation de réserves non utilisées, ou équipes surdimensionnées. Ces pratiques diluent l’incitation à trouver un véritable produit avec des utilisateurs réels.
À suivre
Le débat est désormais économique autant que technique. Deux issues sont plausibles : soit une nouvelle période de corrections force une réallocation — douloureuse mais productive — soit les structures de gouvernance et de financement évoluent pour introduire plus de discipline sans attendre une crise majeure. Les signaux à surveiller : rotation des talents, liquidation de réserves de jetons, consolidation entre protocoles et une reprise tangible de métriques d’usage (utilisateurs actifs, revenus transactionnels).
Ce cycle pourrait redessiner les priorités : au lieu d’accumuler des trésors, les équipes devront démontrer une capacité d’exécution et d’adoption. Comme dans une forêt, il faudra parfois laisser brûler pour que le sol devienne fertile à une croissance saine et durable.