Ethereum en paradoxe : usage record, revenus en berne
L’essentiel
- Le trafic sur Ethereum atteint des niveaux élevés (≈50M+ transactions mensuelles) tandis que les frais moyens et médians restent bas.
- La compression du base fee (frais de base) à ~1–3 gwei et l’essor des blobs poussent la facturation vers les couches supérieures.
- Les rollups et autres solutions L2 (layer‑2, couches de scalabilité) concentrent la valeur : blobs à usage record, volumes DEX dominés par les échanges en stablecoins.
- En conséquence, la revenue directe du L1 (la couche principale) chute : moins d’ETH brûlé malgré davantage d’activité.
Ethereum ressemble à un aéroport bondé où les vols décollent sans embouteillages ni hausses de péage. La chaîne principale joue son rôle de couche de règlement neutre : sécurisée, prévisible, et peu chère. Le paradoxe, pour les observateurs de marché, est que l’adoption et l’usage grimpent quand sa capture de valeur (frais brûlés et revenus) baisse.
Réactions du marché
Les traders et les développeurs apprécient la friction réduite. Les volumes sur les places décentralisées (DEX, pour « decentralized exchanges ») ont atteint des sommets cycliques en août, portés par les paires ETH‑stable et stable‑stable : les stablecoins (monnaies stables) dominent les échanges sans exercer de pression sur les frais L1. L’expérience utilisateur s’en ressent : plus d’adresses actives et moins de transactions avortées, signe d’un mempool plus sain et d’une diminution des comportements parasites liés au MEV (maximum extractable value, valeur maximale extractible par réordonnancement des transactions).
Sur le plan financier, les réactions sont plus nuancées. Les revenus nets du réseau, calculés en ETH brûlé via les frais, sont loin des pics de 2021–22. La part des tips (frais de priorité) a augmenté, représentant désormais une majorité des frais payés pour l’inclusion des transactions. Autrement dit, le pouvoir de tarification migre vers les séquenceurs L2 et les mécanismes d’ordre, pas vers la couche de règlement.
Pourquoi c’est important
La dynamique récente illustre une transformation architecturale : Ethereum devient un « settlement layer » neutre, fournissant sécurité et finalité, tandis que la valeur économique est captée par l’écosystème au‑dessus — les rollups (solutions de mise à l’échelle qui agrègent des transactions hors chaîne pour les inscrire ensuite sur L1) et leurs séquenceurs. Les blobs, introduits par la mise à jour Dencun (mars 2024) et rendus moins coûteux par Pectra, servent aujourd’hui de moteur de croissance des données pour les rollups. Leur utilisation record confirme que la demande de disponibilité de données (DA, data availability) est le carburant actuel du réseau.
Pour les investisseurs et les observateurs, la leçon est claire : mesurer la santé d’Ethereum ne passe plus uniquement par les frais brûlés ou le taux d’émission d’ETH. Il faut regarder l’adoption L2, l’utilisation des blobs, la part de règlement (settlement share) et la qualité de la sécurité (validateurs, incitations). Le modèle économique se décale vers l’efficacité plutôt que l’extraction directe sur L1.
Calendrier et prochaines étapes
- Surveillance rapprochée des volumes de blobs et de la part de marché des principaux rollups (Arbitrum, OP, Base et autres), indicateurs clés de capture de valeur.
- Suivi des métriques de revenus L1 : base fee, tips, et ETH brûlé, pour jauger l’impact macro sur l’offre.
- Observation des évolutions du protocole et des outils MEV/ordering : toute modification peut redéfinir la répartition des revenus entre L1 et L2.